Critique de evene.fr
le 2007.02.02
Chasseur de tête sachant chasser se chassera lui-même ou sera chassé. Répétez cette phrase une bonne dizaine de fois à haute et intelligible voix avant de poursuivre votre lecture. Et vous serez dans le même état d'esprit que les trois personnages de cette pièce féroce. A savoir les neurones en ébullition (au sens propre comme au figuré) et une profonde sensation de béatitude en même temps. Il est vrai qu'il y a de quoi être interloqué au premier abord : dans un décor ressemblant davantage à un squat qu'à un bureau d'entreprise en pleine expansion, trois individus particulièrement prolixes se donnent à des parties de joutes verbales aussi cyniques que jouissives. Nous avons d'un côté un homme au costume élimé et à la perruque jaune fluo façon XVIIIe siècle, de l'autre, son collègue au pantalon trop court et au visage barbouillé de saleté et au milieu, une femme chargée de les départager, les collants filés et à la nette propension à tomber par terre et à en retirer du plaisir. Les trois acolytes qui semblent s'apprécier autant qu'ils se haïssent en viennent à faire une critique acerbe de notre société de consommation et du monde du travail actuel. Le texte est cinglant et absurde. On a parfois l'impression d'assister à une version édulcorée d'"En attendant Godot", même s'il est risqué de comparer Beckett à qui que ce soit. Mais ces deux personnages chasseurs de tête chargés de s'éliminer l'un l'autre, ont une relation sado-masochiste qui rappelle furieusement les diatribes de Vladimir et Estragon. Au milieu de ces dialogues brillants, des scènes chorégraphiées qui surgissent de nulle part, donnant une dimension comique supplémentaire par force grimaces et jeu outrancier. Les comédiens sont habités par leurs rôles et grâce à une fin ambiguë dénuée d'optimisme, on plonge dans ces vide-ordures sans oser remonter à la surface pour respirer...
Julien Wagner